Difficile de décrire mon émerveillement à la vue de cette brume épaisse enveloppant les cols des innombrables sommets qui entourent mon parcours, à mesure que j’entre dans la vallée, au milieu des Hautes-Pyrénées. La pluie tombe drue, le ciel est chargé de noirceur et pourtant, c’est un sourire indéfectible que j’ai sur les lèvres, lorsque ma bouche se clôt enfin, après une première exclamation ayant laissé ma mâchoire béante. Je reste scotché à la vitre, moi qui pourtant lâche rarement l’ordinateur et le travail lors de mes longs trajets ferroviaires. De ma vie, je n’avais jamais vu des paysages aussi beaux et majestueux dans mon pays, ou peut-être n’étais-je pas prêt à les contempler comme aujourd’hui je le fais.
Je prends alors conscience, une fois de plus, de la diversité et de la richesse du paysage français, de sa capacité à nous émerveiller, et à abriter, en plus de gens formidables, des pépites de beauté, à des endroits parfois insoupçonnés, voire confidentiels. Toujours est-il que cette brume mystérieuse, cette épaisse vapeur blanchâtre flottant au milieu des pics, me fascinait tant que j’aurai pu la contempler des heures durant. Je n’avais vu cela qu’à un seul endroit auparavant, à 10 000 km d’ici, dans les montagnes de Shizuoka, au Japon. Celle-ci est tant vectrice d’humidité, et donc de vie, que les japonais la chérissent et ne manquent pas d’en vanter les mérites. On comprend aisément pourquoi.
Ce premier aperçu du terroir exceptionnel qui s’offre à mes yeux ne trompe pas : voilà un lieu qui semble avoir été fait pour le thé. Des végétaux marqueurs d’acidité dans le sol tels que certains conifères ou fougères, trouvés ça et là plus tard lors de ma découverte de ce terroir, finiront de me convaincre que le jeune et talentueux agronome Lucas Ben Moura avait vu juste.
Rencontre avec le producteur du thé des Pyrénées : Lucas Ben Moura
Le voilà justement qui m’accueille chaleureusement, à mon arrivée en gare d’Argelès-Gazost. Nous filons aussitôt à travers la vallée, dans sa voiture noire de fabrication japonaise, sur des routes faisant à nouveau la part-belle à ces paysages vertigineux.
Tandis que le jour finit de tomber, nous découvrons chacun nos parcours respectifs. Lucas se passionne pour la terre et les plantes depuis pas mal de temps maintenant. Mais c’est son passage à l’école Agro-Tech de Paris qui finira de confirmer ses ambitions et l’accompagnera pleinement à l’élaboration de son projet. En parlant d’accompagner, voilà que nous arrivons dans la maison familiale où un véritable feu de joie nous attend. Pas tant dans la cheminée, haute de port et magnifique, où un feu timide de fin de Printemps crépite doucement, que dans les cœurs présents. Je rencontre la mère Ben Moura, Sybil, une femme drôle, joyeuse et avenante, me faisant bénéficier d’un accueil des plus agréables et maternels. D’un coup, je me sens comme chez de vieux amis, tandis qu’on m’offre généreusement vin local et autres petites spécialités de la région en guise d’apéritif. Tandis que les conversations vont bon train, je me dis que c’est de ça que j’aimerai que soit fait, avant toute chose, le thé français : de bienveillance, de camaraderie, de partage et de générosité. Tout ce que vous trouverez en visitant les Ben Moura.
Origines et ampleur du projet Thé des Pyrénées
J’en apprends alors plus sur l’origine du projet et les racines familiales. Le terrain que je m’apprête à découvrir le lendemain appartient à la famille depuis plusieurs générations et vient de l’arrière-grand-père paternel de Lucas. Aujourd’hui, les Ben Moura vivent principalement à Biarritz, mais c’est bien ici, au cœur des Hautes Pyrénées, en pays de Bigorre, que Lucas a décidé d’écrire sa propre histoire dans le thé français, revenant à des origines plus profondes. Outre des essais réalisés depuis 2018 sur la question, ce sont ses voyages, notamment en Chine et les nombreuses études et analyses réalisées sur le terrain qui ont encouragé ce dernier à se lancer. Le soutien de son école et une campagne de parrainage des futurs théiers finiront de concrétiser ce projet et c’est ainsi qu’en Automne dernier, il planta environ 3 000 pieds sur la parcelle familiale surplombant le village. Il dispose également du plein soutien de l’Association des planteurs de thé européens, Tea Grown in Europe (aussi appelée EuT), dont il est le secrétaire actuel.
Alors que je découvre plus amplement leur superbe maison, héritage familial ancien où ils ont travaillé à une rénovation minutieuse en respectant l’histoire du lieu, il est vite temps d’aller se reposer. Lucas me promet une balade en haut du terrain entourant la bâtisse dès demain, terrain où ses nombreuses expérimentations préliminaires en matière de théiers m’attendent…
Les premières expérimentations de thé en Hautes Pyrénées
Levé de bonne heure, j’explore aussitôt son laboratoire à ciel ouvert : dominant la maison, plusieurs rangées de théiers en pente se font jour sous mes yeux. Je constate aussitôt leur joli port, leurs feuilles impeccables et surtout l’absence de bourgeons brûlés et je questionne Lucas sur les terribles gelées de Printemps dont Michel Thévot lui-même, planteur de thé en Bretagne, a subi les frais, mettant à mal les premières récoltes de l’année. Lucas me dit que malgré un hiver très froid et quelques pertes raisonnables, regrettables mais nécessaires pour la sélection des pieds les plus forts et adaptés au climat local, il n’a pas subi de dégâts lors des gelées tardives. Je m’étonne de cette « bizarrerie », d’autant plus que nous sommes ici tout de même en petite altitude, 550 m au-dessus du niveau de la mer, et que le froid est susceptible de frapper facilement avant l’arrivée de l’été. Lucas m’explique que la dernière sécheresse a ralenti la croissance des pieds, quasiment aucun bourgeon n’est sorti avant les gelées, dont les dernières sont survenues localement au mois de Mars. Ce n’est que tout récemment que ses théiers se sont remis à légèrement bourgeonner, bien après ce moment fatidique. Une croissance tardive fort intéressante qui sera sans aucun doute plus que profitable pour la production de thé à venir, ici, dans les Pyrénées.
Ses essais sur ce terrain test étant concluants, il décida d’aller plus avant en finançant quelques milliers de pieds pour les installer plus haut, sur la parcelle de l’Arrieulat. Un projet de plantation devenu vrai et bien-nommé Terrasses de l’Arrieulat en référence, me dit Lucas, aux nombreux terrains en paliers et aux maisons construites sur les pentes, formant au milieu un chemin sinueux les contournant, sur les versants.
Découverte de la plantation
Il est alors temps de monter sur la plantation, en rejoignant ces fameuses terrasses faites de bois et de champs. C’est vraiment tout près, à peine quelques centaines de mètres à vol d’oiseau. Tandis que la Honda s’engage dans l’allée et que les Ben Moura écarte la palissade d’entrée faite main de barbelés et de bois de cerisier, je découvre enfin l’objet premier de ma visite : le thé des Pyrénées. Ou tout du moins ce qui va permettre de l’obtenir. Les 3 000 théiers sont là, devant moi, multitudes rangées en pente, pour un spectacle des plus remarquables.
Je prends aussitôt conscience de l’organisation efficace du jardin, avec des allées et un parcours bien précis et dessiné, des piquets de repère et des fils tendus permettant de bien identifier chaque rangée et de mettre en avant chaque arbre. Lucas me révèle qu’il tient un carnet de bord et une « cartographie » à jour en permanence pour savoir où est quoi et ainsi suivre l’évolution de chaque lot, individuellement. Des données précieuses pour comprendre et favoriser l’acclimatation par sélection. Je constate aussi la présence d’arbres « soutien » vertueux que Lucas me présente tour à tour : érable de Cappadoce doré, arbre de Judée, Tilleul… Autant de diversité et d’apports très utiles, aussi bien pour l’ombrage que l’équilibre du jardin.
Un paillage systématique entre et à chaque pied, ayant pour objet de maintenir l’humidité et de limiter drastiquement la prolifération des adventices (mauvaises herbes, plantes parfois non-comestibles fatiguant l’arbre), dessine, lui aussi, bien les allées. Je remarque une autre particularité, elle aussi très parlante quant au terroir où nous nous trouvons. Lucas garnit chaque pied d’une collerette de laine locale, récupérée pour rien, auprès des éleveurs du coin. Écologique et économique, intéressante par bien des aspects, ce « paillage » naturel semble faire son effet : au toucher, la terre entourant les pieds reste très humide et la vie animale y pullule, a contrario des mauvaises herbes. Bien que Lucas n’ait pas encore réalisé de démarches officielles pour labelliser biologique sa future production de thé, je peux vous garantir qu’au vue de la biodiversité qui y grouille, aucun doute ne serait permis quant à la nature agro-écologique de sa plantation !
Un thé écologique et durable
Nous sommes à une très belle période pour la récolte, les bourgeons se font leur place sur certains arbres et l’absence de gel tardif offre à voir de très belles pousses, n’attendant que d’être prélevées. Mais Lucas a fait un autre choix. Il préfère patienter et laisser les arbres se fortifier, ne pas les stresser alors qu’ils ont été mis en terre il y a peu et assurer ainsi leur pérennité. Que le thé des Pyrénées soit, dès la première volée, exceptionnel et durable. Tout vient à point à qui sait attendre, pas vrai ? Ou, comme disent nos voisins chi va piano va sano, e lontano.
Et nous voilà partis pour une journée entière de travail : désherbage à la main des adventices qui ont quand même réussi à se frayer un chemin entre les rangs mais aussi « lainage » et paillage. Nous allons chercher un foin bien conservé dans l’étable en contre-bas, très jolie bâtisse que Lucas rêve de réhabiliter en atelier de transformation du thé. Mais ça sera pour plus tard ! En attendant, nous charrions, à coup de fourches bien placés, des kilos de foin dans la voiture avant de tout remonter et ce, à plusieurs reprises. On me rappelle dans le même temps la différence entre paille (issu de tiges de blé ou d’autres graminées) et foin (issu d’herbe fauchée), une subtilité de familles aromatiques que je n’hésiterai pas à inclure dans les prochaines dégustations Curiousitea ! Une petite pause du midi me fait découvrir et savourer le pain à l’ail de Sybil et ses bons plats mijotés, puis nous reprenons le labeur une fois les heures les plus chaudes passées.
La journée se déroule tranquillement sous le soleil de mai et le regard attentif des montagnes nous entourant. Quel spectacle plus beau à contempler que celui-ci tandis qu’on est en train de travailler ? Une expérience incroyable.
Les perspectives des Thés d’Europe
J’évoquais les italiens tout à l’heure, Lucas me dit justement qu’il s’apprête à partir en voyage pour la plantation de Camélias du Lac majeur, au nord du pays, où de très nombreux Camellia Sinensis et leurs pousses fraîches ne demandent qu’à être cueillies ! Il y réalisera de nombreux essais de transformations, explorant avec la famille Zacchera les nombreuses possibilités qui s’offrent aux thés d’Europe.
Alors que l’heure du dîner approche à grands pas et que, fourbus, nous ne rêvons plus que de nous restaurer, nous nous rappelons avec bonheur que c’est le grand jour : les terrasses de café et de restaurant réouvrent ce soir ! La première bière pression de l’année ne se fera pas attendre plus longtemps… Nous observons, extatiques, la vie qui reprend, à coups d’accords de guitare, de chants et de rires. Mais la fête ne saurait se prolonger, l’heure c’est l’heure, nous voilà rentrés, à 21h !
L’occasion de partager un dernier dîner et de faire découvrir à Lucas peut-être la première tentative de « Kyô-bancha » français, que j’ai pu réaliser avec les pertes, feuilles et branches tombées sur la plantation de Michel en Bretagne. Nous le comparons à l’original du Japon et dégustons bien d’autres thés, comme nous l’avons fait tout au long du séjour. Une magnifique opportunité d’échanger à chaque fois sur quels thés Lucas voudrait sortir de ses belles Terrasses de L’Arrieulat, entre inspirations, influences, innovations et créativité.
La passion habite ce lieu et les Ben Moura, me laissent un souvenir encore vivace, quelques semaines après les avoir visités. Ces rires, cette joie et ces paroles échangées résonnent toujours dans ma tête, et résonnera encore longtemps. De quoi accroître encore mes espoirs en l’avenir du thé made in France.
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